Article de DOMINIQUE RICHARD
un médecin radié de l'ordre pour un viol... 33 ans après les faits
Le Conseil national de l’ordre a radié, en dépit de ses dénégations, un médecin de Belvès pour un viol commis en 1980. Une décision prise au nom de « l’intime conviction »
C’est probablement du jamais-vu dans les annales médicales : sanctionné par ses pairs pour un viol commis il y a trente-trois ans dans son cabinet, le docteur Michel Pasquini quitte contraint et forcé la profession. Le généraliste, qui exerçait à Belvès depuis près de quarante ans, a jusqu’au 1er mai pour dévisser sa plaque apposée à l’entrée de la nouvelle maison de santé de ce village du Périgord noir. La décision de radiation prononcée le 21 février dernier par la chambre disciplinaire nationale de l’Ordre des médecins est exécutoire en dépit du pourvoi en cassation formé par le praticien périgourdin devant le Conseil d’État.
« Ne pas mettre le bazar »
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La plaignante, aujourd’hui fonctionnaire dans une collectivité locale, n’avait que 16 ans à l’époque des faits. Fille d’artisan, elle résidait dans le bourg non loin de la maison du généraliste. Les deux familles entretenaient de bonnes relations. « Cet été-là, il m’avait sollicitée pour tenir sa permanence téléphonique en l’absence de sa femme. Il me suivait aussi pour un problème gynécologique. Un soir, lors d’un examen, il a abusé de moi. J’ai été élevée dans un milieu catholique où on ne parlait jamais de sexe. Je ne voyais pas comment le dire. Personne ne me croirait, et cela allait mettre le bazar. J’ai préféré me taire. »
Une adolescente victime d’un viol dispose d’un délai de dix ans après sa majorité pour porter plainte. « Je ne l’ai pas fait. J’ai tout refoulé. J’ai poursuivi mes études de gestion, j’ai trouvé du travail chez un expert-comptable. Mais je n’ai jamais pu construire une véritable vie de couple. J’ai tenu des années, jusqu’au jour où je n’ai pas pu lutter contre le mal-être qui m’envahissait. Je ne comprenais pas son origine. J’ai consulté un psychiatre. C’est lui qui a fait remonter ce viol à la surface. »
En 2004, elle frappe à la porte du docteur Pasquini. « Je voulais qu’il m’aide à me soigner. J’aurais bien aimé qu’il s’excuse, qu’il m’explique la raison pour laquelle il m’avait fait cela. Il a baissé la tête et m’a lâché : “Je te donnerai de l’argent, comme je l’ai fait à d’autres.” Il m’a remis 3 000 euros. J’ai eu le tort de les accepter, mais cette somme m’a servi à entamer une psychanalyse. Pour sortir de cette histoire, j’avais besoin d’une reconnaissance. En désespoir de cause, j’ai saisi le Conseil de l’ordre des médecins. »
À Bordeaux, en première instance, la chambre disciplinaire régionale ne l’a pas suivie (1). Elle l’a déboutée au motif qu’elle n’apportait aucune preuve formelle. Mais, en appel, l’argument n’a pas été retenu. « Si les témoignages et certificats médicaux produits ne constituent pas des preuves des faits anciens qu’elle allègue, ils contribuent à les rendre vraisemblables, observe la chambre disciplinaire nationale. La juridiction lui donne acte de “la constance et la précision de ses déclarations”, de la dignité dont elle fait preuve. » Autant d’éléments qui la conduisent à « avoir l’intime conviction de la véracité de ses dires, celle-ci étant confortée par le refus persistant du docteur Pasquini de se présenter devant ses pairs ».
Depuis le début de la procédure, en 2010, le généraliste périgourdin a toujours été aux abonnés absents : refusant d’être confronté à la plaignante aussi bien à Bordeaux qu’à Paris, il a boycotté les audiences, se contentant d’adresser à ses juges des écrits où il qualifiait de calomnies les accusations portées contre lui.
Un ultime recours
« Cette attitude l’a desservi alors qu’il n’y a strictement aucune preuve et que les faits sont largement improbables », insiste Me Monéger, l’avocat bergeracois mandaté sur le tard par le docteur Michel Pasquini. À sa demande, Me Françoise Fabiani, une avocate parisienne habilitée à intervenir devant le Conseil d’État, vient de former un pourvoi dans l’espoir d’obtenir la réouverture des débats en sa présence. L’affaire ne devrait pas être plaidée avant la fin de l’année.
La victime n’a pas attendu l’issue de cet ultime recours pour relancer son association. Créée il y a six ans, elle vise à apporter aide et écoute aux personnes ayant souffert d’abus sexuels. Son nom ressemble à son histoire. Elle s’appelle « Comment le dire ? ».
(1) Un an plus tôt, cette même chambre avait débouté, toujours pour le même motif, une autre patiente du docteur Pasquini qui avait dénoncé des faits similaires. Mais celle-ci n’avait pas fait appel